mardi 8 mars 2022

Poutine et la conscription : un changement de pied lourd de conséquences

Nous nous sommes tellement habitués à la suspension des obligations militaires du service national qu'on a à peine remarqué le changement de pied discrètement opéré par Poutine avec l'annonce du non envoi de conscrits en Ukraine.

Certes, cette annonce ne sera pas forcément suivie d'effet (et elle ne le peut probablement pas), mais, pour employer l'expression de Jean Coteau, Poutine est, en l'occurrence, " un mensonge qui dit la vérité ".
 
Ce qui légitime le principe de la conscription aux yeux du peuple c'est qu'elle sollicite sa participation active à la défense de son propre territoire et qu'en termes de dissuasion, elle manifeste la fermeté de cette intention défensive.
 
Quand François Mitterrand, alors ministre de l'intérieur de Pierre Mendes-France justifie l'envoi du contingent en Algérie, c'est parce qu'affirme-t-il : " l'Algérie, c'est la France ", ce qui, juridiquement est à l'époque effectivement le cas. mais on se souvient du rôle que joua le contingent dans l'échec du putsch de 1962. Manifestement, pour le contingent, l'Algérie, ça n'était déjà plus la France. On se souvient aussi que De Gaulle souhaitait une victoire militaire même passagère, de l'armée Française, afin de négocier avec le FLN dans les conditions lesplus favorables. L'OAS et les généraux factieux firent échouer ce projet.
 
Ce qui justifie l'envoi des conscrits russes en Ukraine, c'est la propagande de Poutine selon laquelle, l'Ukraine, c'est la Russie, afin de travestir l'offensive en défensive. À ceci près que les oblasts ukrainiens ne sont plus depuis longtemps des oblasts russes.
 Le jour où Poutine prétend renoncer à l'envoi des conscrits en Ukraine, le masque tombe, puisque cela signifie que l'Ukraine n'est pas autant la Russie qu'il le prétend et que sa "défense" de cette "part de la Russie" ne justifie pas qu'elle y sacrifie sa jeunesse; que ce n'est pas une part de la Russie qu'il s'agit de défendre, mais un territoire non Russe qu'il s'agit d'annexer par la force.
 
La puissance numérique des forces russes, repose probablement, pour ce qui est des personnels, sur l'apport du contingent fourni par la conscription. Mis à part quelques unités "d'élite" composées exclusivement de militaires professionnels, la plupart des unités des forces armées sont un mixte d'appelés, de réservistes et d'engagés. Ce qui a pour conséquence que, sauf à désorganiser les unités déjà engagées en Ukraine, son État-Major ne peut pas désengager les conscrits déjà présents sur le terrain. Il en va de même pour les unités qu'il prévoit d'engager auxquelles cela va imposer une réorganisation au pied levé et dans la plus totale improvisation. Il y lieu de douter que l'improvisation et le système D soit une des qualités majeures des forces russes. Au mieux, il peut, sous la contrainte leur faire signer des contrats d'engagement. On imagine d'ici, l'effet sur le "moral des troupes" et sur leur cohésion ! 

Dernier élément qui touche à la dissuasion : sans une composante populaire, la dissuasion nucléaire est un parapluie percé. Comment prendre au sérieux un chef d'État qui agite la menace nucléaire alors qu'il n'a pas d'abord osé engager les forces vives de son pays dans le combat conventionnel. S'il hésite à envoyer les conscrits au casse-pipe, comment prendrait-il le risque de pertes infiniment plus importantes ? En prétendant renoncer à l'envoi des conscrits en Ukraine, Poutine avoue que la menace nucléaire est un bluff de sa part.